lundi 11 novembre 2013

Henri Charmet, « ancien combattant à double titre »

Adrienne, 34 ans, se souvient de son arrière-grand-père, né en 1893, mort en 1978. Elle ne l'a pas connu mais a trouvé et lu un journal personnel qu'il a tenu pendant la Seconde Guerre mondiale. « Ses écrits renvoient en permanence de la Première à la Seconde Guerre mondiale », confie-t-elle.

Mon arrière-grand-père était ce qu'on appelle un « ancien combattant ». Il est mort en 1978, juste un an avant ma naissance, je ne l'ai donc jamais connu. Dans l'histoire familiale, quand j'étais petite, j'ai surtout retenu deux choses : Henri Charmet était un négociant en vin parisien d'origine beaujolaise, et il était « ancien combattant » de la Première Guerre mondiale. On ne parlait pas trop de ces époques-là, donc j'en étais restée à ça, jusqu'à la fin de mon adolescence.


Le héros de la famille, c'était son fils Claude, dont je savais qu'il avait quitté la France en 1942 ou 1943, traversé l'Espagne et ses prisons franquistes (cocasse quand on vient d'une famille plus proche des Croix-de-feu que des républicains) pour rejoindre l'Algérie, puis fait partie des premiers « commandos de France », commandos parachutistes envoyés dans les Vosges nettoyer les poches allemandes à l'été et l'automne 1944, et mort « pour la France » lors d'une attaque sanglante dans un petit village perdu près de Gérardmer. Tous les ans, mon grand-père allait commémorer la mort de son frère là-bas, parfois en emmenant mon grand frère.

Et puis, il y a quelques années, je suis tombée, dans la maison familiale, sur le journal de guerre de mon arrière-grand-père, écrit pendant la Seconde Guerre mondiale. Et celui que je voyais comme un poilu lambda a pris chair, a pris âme. Il explique, au début de la guerre, son horreur en voyant le conflit revenir, il revient sur son expérience terrible de la Première Guerre où il fut blessé quatre fois, décoré de la Légion d'honneur, de la croix de guerre « avec palme et étoile », lui parti simple soldat à 20 ans et rentré sous-lieutenant.

Il raconte que, réserviste, il se réengage en 1939, comme officier cette fois. À quel point il maudit la désorganisation de l'armée, la « drôle de guerre ». Comment, ironie du sort, il se retrouve fait prisonnier à près de 50 ans (il est né en 1893) dans le même village que celui où il s'était fait gravement blesser plus de vingt ans plus tôt, dans l'est de la France.

Après sa libération, il explique à mots couverts sa perte de confiance en Pétain, son admiration pour ses fils qui entrent en Résistance, ses actions de petit courage quotidien pour fournir des faux papiers, héberger des parachutistes anglais en plein Paris en 1943. Son emprisonnement à Fresnes, durant plusieurs semaines, l'a fait réfléchir lorsqu'il se retrouve à vivre avec des juifs et des communistes, lui qui admirait tant Maurras.

Ses écrits renvoient en permanence de la Première à la Seconde Guerre mondiale. Je ne m'étais jamais imaginé ce que pouvaient avoir vécu ces hommes traumatisés deux fois dans la même génération. Et lui qui pensait que la « Der des ders », c'était vrai, lui qui croyait à la grandeur de la France ; cette souffrance de la trahison de ce Pétain adulé, de l'humiliation de l'Occupation. Jusqu'à rempiler dans les FFI en 1944 et terminer la guerre en Allemagne, la cinquantaine bien tapée au milieu de jeunes combattants de 20 ans, lui le marchand de vin, le Français moyen, de base. Lui qui défilait dans l'entre-deux-guerres avec ses copains anciens combattants, fiers d'avoir réchappé à la pire boucherie de l'histoire, certains que c'était fini.

Un « ancien combattant » à double titre, donc. Qui dans la mémoire de mon père était un vieillard dur et  même un peu « atteint » par tout cela. Si je l'avais connu, il ne m'aurait probablement jamais parlé de cela, comme son fils (mon grand-père) ne m'a jamais parlé de ce qu'il a fait dans la guerre. Heureusement, il a écrit pour témoigner, tapé consciencieusement son récit à la machine, relié tout ça et rangé ça dans un carton. Et aujourd'hui j'ai pu en parler avec mes enfants…

Adrienne Charmet-Alix (@AdrienneAlix)

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